Les travaux doivent s’achever au début de l’été en lieu et place de l’ancienne piscine, pour une mise en service envisagée dès septembre. Et sept médecins généralistes, un ophtalmologue, deux orthophonistes, un psychologue, deux kinés, près de vingt infirmières se sont engagés à intégrer la structure. Telle est la bonne nouvelle indiquée récemment dans un courrier à La Montagne par l’ancien maire Jean-François Muguay puis confirmée par l’association Réseau de santé La Souterraine-Fursac qui porte le projet.
Comme une symbiose
De l’eau a coulé dans la Sédelle depuis qu’il a été initié par la communauté de communes, en 2015. Après six années de travail, dans un cadre à géométrie variable, et malgré une crise sanitaire inédite, le projet semble s’être développé de façon relativement linéaire. Cela grâce à plusieurs éléments, dont l’addition était essentielle pour la survie de l’ensemble. En somme, ce que les scientifiques appellent une symbiose.
1) La cohérence politique
La volonté est une chose, mais n’est pas grand chose sans ténacité ni cohérence. Etienne Lejeune, maire et président du Pays sostranien, décrit le sang-froid qu’il a fallu pour continuer à porter ce projet intercommunal alors que la com-com changeait elle-même de forme.
« L’étude a été engagée sous l’ancien pays sotranien, sa validation par les autorités est intervenue sous la grande com-com Monts et Vallées Ouest Creuse, puis le lancement des marchés a eu lieu après la défusion… » Durant ce feuilleton rocambolesque, les élus ont toujours pris soin d’afficher les mêmes objectifs devant l’ARS, la Région et l’État, assure Etienne Lejeune.
Qui souligne aussi l’importance de la continuité : « à ceux qui me reprochent d’être un héritier politique, je peux répondre que je le revendique, en prenant l’exemple de ce projet : heureusement que l’on a pu aussi bien se passer le relais avec Jean-François Muguay ! ».
2) L’adhésion des professionnels
Les politiques cependant ne peuvent rien sans l’adhésion totale des professionnels, premiers concernés par le projet. À La Souterraine, les docteurs Petit et Perceval, généralistes ici depuis de nombreuses années, ont été les moteurs. Ils ont porté une association pour fédérer tous les professionnels qui seraient volontaires afin d’intégrer une maison de santé. Ils ont pensé collectif et défendu une conviction : celle que le rôle social du médecin fait aussi partie de son éthique.
La lutte contre le désert médical sur le plateau de Millevaches
« Le médecin de famille est un élément clé de la désertification des villages », pose Jean-Jacques Perceval. Lui qui a déménagé depuis le Var pour la Creuse dans les années 2000 sait ce que ça représente de laisser une patientèle : « on est dans l’intimité des gens et du jour au lendemain on les met dans la détresse. Je ne voulais pas revivre ça pour ma retraite ».
C’est pourquoi il a “laissé traîner” son départ (70 ans l’année prochaine) pour être en nom dans le projet jusqu’à ce qu’il soit définitivement sur des rails. Le docteur Perceval cessera donc son activité cet été, après un long tuilage avec une jeune praticienne, « son cadeau de Noël », car arrivée en renfort en décembre 2018, et qui s’apprête à intégrer la maison de santé.
3) Une courroie de transmission vers les internes
Au centre du jeu, Gilles Petit insiste pour sa part sur le discours à tenir auprès des jeunes recrues. Impliqué à la fac de Limoges, il est là-bas l’un des maîtres de stage les plus convoités par les internes qui doivent effectuer au moins six mois en médecine générale. Parce que le docteur Petit fait aussi bien l’accueil que la pédagogie. Car il a décidé d’utiliser ces six mois comme d’une arme de persuasion massive.
« Il ne faut pas essayer de les convaincre à tout prix car ils se disent qu’il y a un loup. Mais plutôt construire une relation d’écoute et de complicité, professionnelle et extraprofessionnelle, qui peut conduire le jeune collègue à reconsidérer sa vision de notre territoire », défend Gilles Petit.
Notre territoire a des atouts mais il faut le faire savoir à des internes qui ont souvent une image faussée de notre réalité
docteur Gilles Petit
Ce natif de Guéret sait de quoi il parle en citant tour à tour sport nature, circuits courts, loyers modérés, moyens de communication directs pour aller à Paris comme à Toulouse… « Tout cela, associé au travail collectif d’une maison de santé, permet de rénover l’image du médecin de campagne et lever la crainte principale des jeunes, celle de tout sacrifier à son métier comme jadis. Désormais il y a une place pour le temps personnel », résume en substance le docteur Petit.
4) Des jeunes « qui en veulent »
À 29 ans, Benjamin Bernichon est de ceux qui ont adhéré au message sur les aménités de la vie sostranienne et fait partie de la dream team qui va intégrer la maison de santé prochainement. Le docteur Bernichon juge « poussiéreux » les stéréotypes de carabins limougeauds prétendant que celui qui échoue finira “généraliste en Creuse”.
Car aux avantages cités précédemment, il ajoute aussi la qualité du rapport avec la patientèle, bien meilleure qu’en ville désormais. « Il y a une gentillesse et une simplicité des relations… » Et une technicité du métier peut être plus intéressante du fait d’une plus grande diversité de pathologies.
Comment est organisée la filière santé à l’université de Limoges ?
« Je suis originaire du Nord mais j’ai fait tout mon cursus à Limoges. Avec ma compagne qui est aussi médecin nous envisagions de partir en Guyane au terme de notre formation. Moi j’ai fini l’internat en mai 2020 et elle un an avant. Nous avons finalement pris un virage à 180 degrés en choisissant de rester ici. Elle, a déjà fait des stages à Marsac et Guéret. Moi à Boussac, Gouzon. Et je connais le docteur Petit depuis que j’ai été président des internes de Limoges ».
Installé dans une maison à Bessines puis à la Souterraine même, le couple incarne cette génération de praticiens qui veut faire vivre la tradition du médecin de campagne à condition de mettre quelques bornes avec la vie privée. Et pour cela la maison de santé se révèle une formule idéale.
5) L’effet boule de neige
Le travail d’équipe qui va fluidifier l’organisation des gardes, la mutualisation des outils informatiques, la proximité d’autres professions médicales ou paramédicales qui jouent aussi le jeu : voilà pour les médecins un confort indéniable. Et pour les patients une certaine garantie de voir le service assuré pour un bon moment.
Bientôt un cardiologue aussi ?
Une synergie s’est mise en place au point que de nouveaux professionnels sont d’ailleurs candidats pour intégrer la structure. On parle d’un cardiologue – qui est sans doute avec le radiologue l’autre spécialiste sur lequel s’appuie un médecin de campagne. Sauf que la maison de santé est déjà pleine avant d’être ouverte. Ce qui pousse Etienne Lejeune à envisager, déjà, une extension : « Si le bâtiment s’avère trop petit, nous n’avons pas de tabou, nous ne briserons pas la dynamique », promet-il.
Floris Bressy
floris.bressy@centrefrance.com